Qu’est-ce qui vous pousse à créer ?


Le besoin peut-être au départ de m’affirmer, un besoin bien commun, la volonté d’être différent, celle qui vous pousse à musarder sur un petit sentier plutôt que de vous retrouver sur l’autoroute. Il y a aussi l’envie de communiquer autrement qu’avec des mots, qu’à travers la rigueur d’un raisonnement, de laisser parler mon imaginaire.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Multiples et variées. Le plus souvent, c’est un détail observé sur une machine, un élément incongru dans l’attitude d’un homme ou d’une femme, un contraste de matière entre deux objets anodins, catalyseurs d’une idée qui jusque-là germait sans aboutir.
Le travail d’autrui ne m’influence pas directement du moins consciemment. Il est très intéressant de voir ce que les autres font, mais peut-être plutôt en considérant comme une étape à dépasser…
Si le monde de la science-fiction m’apporte beaucoup, ce n’est pas en collant aux univers des autres et en m’attachant à leurs imaginaires que je trouve mon inspiration. Ce qui me pousse dans mon travail, c’est plutôt la capacité des créateurs de science-fiction à laisser de côté la logique du réel, à dépasser le "donné".

Quelle serait votre définition de l’esthétique ?

J’ai surtout baigné dans la céramique. Pour la plupart des artistes, l’intention première est de faire du beau, de jouer
avec l’harmonie d’une courbe, de la tension d’un volume, de l’éclat d’un émail, de la profondeur d’une glaçure…
Si je procédais ainsi, j’aurais l’impression de mettre la charrue avant les bœufs. À vouloir traquer la belle chose, elle se sauve… La puissance, la réussite d’une pièce,
viendra plus sûrement de la justesse d’une intention, ou de la perception du sens par le spectateur, par la force d’une opposition, par l’incongruité d’un mariage et par la dérision.

Quel besoin avez-vous de triturer ainsi la réalité ?

J’aime jouer avec les formes. Si je reproduis des éléments réels, ce n’est pas avec un souci d’exactitude dans une vaine course derrière le beau (le beau derrière …!) Je ne cherche pas à sublimer un corps ou une partie de ce corps en le réinterprétant. Au contraire, je me sers du moulage, technique de reproduction " froide", aussi bien pour les parties mécaniques que pour les parties humaines. C’est ensuite dans la juxtaposition de ces différents éléments que le jeu apparaît, un jeu de massacre, de chirurgien fou…

Comment vous situez vous par rapport à la science-fiction ?

J’ai beaucoup lu de science-fiction, j’ai avalé les grands classiques. J’aime beaucoup l’imaginaire débridé de ces auteurs aussi bien en littérature, en BD qu’au cinéma. Bien sûr, il ne suffit pas de transplanter de gentils astronautes courageux sur une méchante planète sulfureuse pour faire un chef-d’œuvre. La science-fiction est sans doute le genre littéraire et cinématographique qui a produit le plus d’avortons de la série Z. Comme tous les amateurs de fantastique, j’ai le désir de dépasser le " donné ", de naviguer dans un univers corrigé, déformé, en tournant le dos au " réel vécu". Cela ne veut pas dire que la base de mon travail n’est pas du "bientôt présent" ; les éléments de mes sculptures sont des morceaux de réel, mais de deux réalités qui se juxtaposent, se mélangent et donnent naissance à un autre monde…

L'interview est tiré du livre "Zoofolies" de Jean Fontaine aux éditions Galerie Humus
ISBN 2-940127-02-6
© Edition Galerie Humus


L’entretien avec Jean Fontaine