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Du Faire et du Fer

Comment démarrez-vous pour créer une œuvre ?
Il y a tout au long de la journée de courts instants de réflexion où j’essaie de fixer une idée, un désir. Il y a également ces moments moins laborieux, plus spontanés, où je me contente de faire "l’éponge" en feuilletant un livre. Ou bien je me balade dans une casse, en traquant un détail… et l’évidence d’une pièce me tombe dessus.
Il y a ensuite des petits croquis faits avec le souci de la composition. À ce niveau-là, je commence à résoudre les problèmes techniques qui vont se poser à moi, à déterminer quelles parties seront construites séparément, puis collées, à prévoir les cloisonnements internes des gros volumes pour éviter les affaissements et déformations, aussi bien au montage qu’à la cuisson. Généralement, je finis par un dessin plus fouillé où j’essaie de faire naître les volumes.
Pour moi, les sculptures les plus réussies ne sont pas celles sur lesquelles j’ai le plus réfléchi, ce sont bien souvent celles qui se sont imposées dans un flash…
Quelle matière employez-vous ?
Exclusivement de la terre, du grès chamotté.
Les techniques de mise en œuvre sont si diverses qu’il est possible en les mariant de tout faire, enfin presque tout !
Parfois, je fais des ajouts de verre, ou de porcelaine, ou je vais mettre très logiquement une hélice en bois devant un moteur ; mais ce sont des greffes très simples, sommaires, juste destinées à renforcer le contraste dynamique. Les possibilités de jouer avec les aspects de surface et de terre, avant ou après la cuisson, sont vastes également…
Tout cela fait de la terre un matériau idéal pour la sculpture.
Quels sont les avantages et les inconvénients de la terre ?
Parallèlement au plaisir de construire une sculpture, de concrétiser les images de son imaginaire, il y a d’abord, au jour le jour, le plaisir très sensuel de pétrir, de caresser, de lisser.
Il y a déjà, le matin en entrant dans mon atelier, l’odeur de la terre. Ensuite, c’est le plaisir enfantin de l’estampage et du démoulage, et celui de jouer avec le feu. Même s’ils occupent bien peu de place dans mon travail, ces plaisirs simples font partie de la réalisation.
La multiplicité des formes réalisables avec la terre en fait un médium idéal pour la sculpture. Si l’on dépasse la période inévitable des échecs cuisants (mal cuisants !), on peut tout tenter, tout risquer.
C’est un matériau simple, qui ne nécessite pas d’intermédiaire, pas d’outils ; la terre se travaille directement avec les doigts, nul besoin de force. Il faut jouer avec sa souplesse ; au début, elle est molle, et face à cette langueur, le débutant réagit par la force ; et puis on apprend, et la terre devient souple, plastique. Je n’ai pas envie de frapper sur un ciseau, sur un burin ; je trouve la cire trop poisseuse, le plâtre fade…
Les inconvénients de mon travail ne sont pas dus à la terre. Je travaille plutôt lentement, donc je réalise peu de pièces. Un autre inconvénient est le poids de mes pièces, cela n’étant pas imputable à la terre, mais plutôt à la taille grandissante des sculptures. À jouer avec des formes figuratives très parlantes, avec des contrastes très simples, j’ai parfois peur de tomber dans l’anecdotique ; alors je prends un peu plus d’espace pour raconter mon histoire… et à moi les maux de dos !
Envisagez-vous d’autres matériaux ?
J’ai acquis une liberté avec la terre qu’il me serait difficile de rencontrer avec un autre matériau. Par contre, il m’arrive de faire réaliser quelques tirages en bronze de pièces simples dans lesquelles la magie du trompe-l’œil s’avère moins nécessaire, mais ce n’est pas un but en soi, c’est comme un prolongement où je puis amener un peu de couleur…
Quant aux quelques greffes de verre introduites ici et là, elles ne servent qu’à apporter un contraste avec l’ensemble de la sculpture. Je me méfie du tape à l’œil, du clinquant du verre…
D’ailleurs, je ne sais pas si je cesserai un jour d’être fasciné, lors du démoulage, par l’apparition subite du corps. Le photographe dans son labo, devant son bac de révélateur, doit éprouver la même émotion. J’ai la troisième dimension en plus, et à l’échelle 1. Et puis il y a le jeu de construction. Et puis il y a encore cette seconde naissance qui intervient à la sortie du four : la pièce enfournée, verte de l’oxyde de cuivre, rouge du fer posé sur le biscuit, trouve alors sa vraie peau.
Tout cela n’est que plaisirs en surplus, du rab, le principal étant de faire apparaître avec efficacité un imaginaire riche.

L'interview est tiré du livre "Mécanofolie" de Jean Fontaine aux éditions Galerie Humus
ISBN 2-9440127-10-7
© Edition Galerie Humus



Du fer et du faire.